Elie Rotenberg a dirigé pendant plusieurs années la Guilde Millenium dans le jeu en réseau World of Warcraft. Cette guilde a longtemps été classée parmi les premières des guildes françaises pour ses combats contre les créatures monstrueuses générées par l’ordinateur (les « boss ») et a même fait partie à certains moments des meilleures du monde. Je l’ai rencontré à la Journée d’études du Centre d’Analyse Stratégique (CAS) auprès du Premier ministre, organisée le 23 novembre 2010 sur le thème : « Jeux vidéo : Addiction ? Induction ? Régulation ». Au cours de cette journée, que j’étais chargé d’introduire et de conclure, plusieurs chercheurs européens ont été auditionnés, notamment Mark D. Griffiths et Marc Valleur, dont les contributions sont reproduites dans le présent numéro. Nous avons un peu parlé et l’idée de cette interview m’est venue tout de suite. Parallèlement, je lui ai demandé de faire une conférence dans le cadre de mon séminaire à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) à Paris. Il est intervenu le 21 septembre 2011 et a parlé du monde de World of Warcraft et de ses joueurs. La vidéo de sa présentation est consultable sur Internet[1].
Il montre ici comment la logique du jeu en réseau est inséparable des processus de socialisation qui y sont à l’œuvre. Il y parle aussi d’addiction et du jeu en réseau comme nouvelle forme de relation d’apprentissage sur le modèle du maître et du compagnon.
Je souhaiterais revenir sur un certain nombre de généralités concernant la définition de l’addiction. Contrairement à Mark D. Griffiths, je n’ai pas commencé ma carrière par l’étude de la dépendance au jeu. Je l’ai commencée, il y a trente-cinq ans au Centre Marmottan, en m’occupant d’héroïnomanes puis de cocaïnomanes. Le centre a ensuite reçu des joueurs d’argent à partir de 1997. Puis, la publicité faite autour de la consultation du Centre Marmottan sur le jeu a suscité des demandes de joueurs de jeux vidéo en réseau et surtout de leurs parents affolés.
En préambule, je souhaiterais faire un constat : si l’on réunissait une cinquantaine de psychologues dans un même lieu, chacun donnerait une définition différente de la dépendance. Je vais donc apporter modestement mon point de vue sur la question. Depuis 1987, je travaille sur la thématique de la dépendance. J’ai commencé par me consacrer aux jeux d’argent, puis progressivement je me suis intéressé aux jeux vidéo et aux jeux sur Internet.
L’activité de « jouer » est présente depuis toujours dans l’histoire de l’humanité, et Internet émergea comme un terrain de jeu dont la population de joueurs est en croissance continue. Des recherches suggèrent que les joueurs sur Internet présenteraient des symptômes traditionnellement associés aux addictions avec substances, tels que des modifications de l’humeur, une tolérance et une saillance comportementale. Parce que le savoir scientifique d’aujourd’hui sur les jeux sur Internet est abondant et apparaît relativement complexe, cette revue de la littérature a pour but de réduire cette confusion en procurant un cadre de travail innovant dans lequel seront catégorisées toutes les études menées jusqu’à ce jour. Un total de 58 études empiriques est inclus dans cette revue de la littérature. Il existe des polémiques sur l’addiction aux jeux sur Internet suivant un continuum, depuis l’existence d’antécédents en étiologie et facteurs de risque, jusqu’au développement d’une addiction complète, suivi de ramifications en termes de conséquences négatives et de traitement possible. Les résultats sont évalués ici et des propositions avancées pour de futures recherches.
Les pratiques vidéo ludiques sur Internet intéressent de plus en plus de thérapeutes, et c’est tant mieux ! La revue Adolescence y a déjà consacré deux numéros : le premier sur le Virtuel (2004, T. 22, n°1) et le second sur Les Avatars (2009, T. 27, n°3), ces créatures de pixels qui nous permettent d’entrer dans les espaces numériques et d’y interagir.
« Écrivez la lettre que vous n’avez jamais écrite. » Telle est la proposition éditoriale lancée en 2011 par la collection Les Affranchis à plusieurs écrivains majeurs. « Quand tout a été dit sans qu’il soit possible de tourner la page, écrire à l’autre devient la seule issue », suggère l’éditrice… ou entrer en psychanalyse, pourrait-on ajouter. Il s’agit donc de « s’affranchir d’une vieille histoire ». Annie Ernaux répond la première à cette invitation avec L’autre fille, lettre adressée à la sœur qu’elle n’a pas connue, décédée avant sa naissance, et y met en lumière une des « zones d’ombre » de sa vie qu’une œuvre entièrement autobiographique nous a depuis plus de trente ans rendu familière.
Fanny Dargent et Catherine Matha nous offrent une réflexion basée sur leurs expériences cliniques auprès d’adolescents qui se scarifient. L’objet de ce livre n’est d’ailleurs pas les scarifications, mais plutôt la rencontre avec des adolescentes qui utilisent la blessure corporelle comme principal recours contre la souffrance narcissique-identitaire.
Renversant la perspective commune qui voit dans la solitude une capacité à être dans l’absence, D. W. Winnicott montre que la solitude s’apprend en réalité dans et par la présence, et qu’elle est une capacité qui ne peut se développer dans un premier temps qu’en présence de la mère : « Le fondement de la capacité d’être seul est donc paradoxal puisque c’est l’expérience d’être seul en présence de quelqu’un d’autre ». C’est à ce génial paradoxe winnicottien que s’ancre et s’arrime Sébastien Dupont, psychologue et docteur en psychologie, dont la pratique auprès d’enfants et d’adolescents dans un service de psychiatrie infanto-juvénile l’a conduit à développer une réflexion approfondie sur les liens entre solitude et attachement.
L’Escale Ado est née en 2010 du regroupement de deux unités de la Clinique Dupré : le Relais et le CATTP, un pôle d’accueil et un pôle thérapeutique. La pluridisciplinarité des approches proposées, l’inscription dans un réseau de structures d’amont et d’aval, apparentent l’Escale Ado à la famille des Maisons pour Adolescents. À partir de deux vignettes cliniques, nous soulignons la pertinence de poser un cadre d’évaluation dans une structure d’accès aux soins, les perspectives thérapeutiques qui peuvent en découler, comme le décloisonnement entre les lieux, et les passages possibles qui permettent de proposer un soin, sur mesure, aux adolescents et jeunes adultes.
Les problématiques des jeunes isolés étrangers que nous recevons dans les Maisons des Adolescents sont complexes et font l’objet de peu de travaux en santé mentale. Ces adolescents doivent traverser seuls la période de construction identitaire qu’est l’adolescence et ont souvent vécu des traumatismes répétés et des deuils multiples. Il paraît donc pertinent d’offrir à ces jeunes un espace, comme celui des consultations transculturelles, qui leur permette de s’appuyer sur leur langue maternelle, leurs représentations culturelles, et qui tienne compte du vécu pré, per et post-migratoire de chaque adolescent pour relancer une dynamique processuelle dans sa construction identitaire.
Adolescence, 2012, T. 30, n°2, pp. 421-432.
Revue semestrielle de psychanalyse, psychopathologie et sciences humaines, indexée AERES au listing PsycINFO publiée avec le concours du Centre National du Livre et de l’Université de Paris Diderot Paris 7