À partir de l’expérience d’un centre d’urgences psychiatriques générales accueillant chaque année 700 jeunes de moins de dix-huit ans, et à la suite de l’article d’Henri Flavigny de 1984 sur les réponses en urgence à l’adolescence, des voies de réflexion sont proposées. L’urgence est actuellement un phénomène de société s’exacerbant dans des crises. Nous préférons parler de crise à l’adolescence, processus à la fois intrinsèque et environnemental, pouvant ou non aboutir au service des urgences, de même qu’une urgence se déclinera ou non en crise. La temporalité complexe tant de l’adolescence que de l’urgence est abordée. La paranoïa y est activée, parfois la seule modalité de questionnement du faux quand le compromis est impossible. Ainsi l’urgence apparaît-elle comme le réceptacle de l’impossible adolescence quand la subjectivité est en impasse. Elle se dévoile de façon inattendue comme un endroit de parole et d’écoute.
L’idée que le concept de responsabilité de Soi s’impose depuis plusieurs décennies comme représentation dominante de la relation de l’individu au socius est discutée. Une des principales hypothèses avancées par l’auteur est que la – relative – irresponsabilité de Soi était associée à l’étendue de la délégation de sa propre protection à l’État. Ces modifications feraient écho aux transformations socio-économiques et traverseraient, nous l’évoquons, le champ des sciences humaines. Elles se manifestent, concernant la psychanalyse, par une évolution de la plainte et un accent porté sur les troubles « narcissiques ». Il reste incertain que ces transformations affectent de façon consistante le comportement adolescent au-delà du rôle que celui-ci semble avoir régulièrement joué : celui d’un intégrateur social, d’un passeur entre les générations.
De façon dominante, les « jeunes des quartiers populaires » représentent pour la société et ses représentants un risque social. Ils sont appréhendés comme une entité globale sur le registre du déficit social ou du danger. Dans cet article, nous montrons comment cette posture des institutions et de leurs représentants a pour effet de mettre à distance l’inquiétude des adultes mais aussi les relations subjectives avec les jeunes. Afin de retrouver une confiance et de créer de nouveaux processus de subjectivation des jeunes, nous proposons, en référence aux travaux menés dans les municipalités, d’ouvrir de nouvelles perspectives de rencontres et d’action, en étayage sur leur désir de reconnaissance et d’avenir partagé.
Que les coordonnées sociologiques d’un certain état d’incertitude nous forcent à un effort d’herméneutique portant sur une subjectivité destinée à devenir publique, et que, cédant au mouvement d’intériorisation de la responsabilité, nous soyons délivrés de la culpabilité qui entrave autant nos actes que notre action, le constat que porte A. Ehrenberg sur le travail contemporain d’adolescence, s’il est prometteur, semble laisser dans l’ombre les aspects plus douloureux que sont l’angoisse de culpabilité dont le pendant est le travail du fantasme.
La subjectivation, caractéristique du travail psychique de l’adolescence, est avant tout une appropriation par le sujet de son corps et de sa pensée. Ce travail psychique est paradigmatique des croyances sociales que nous partageons : les symptômes et plus encore les défenses psychiques évoluent incontestablement avec le temps, par delà l’inconscient dont on peut penser qu’il est hors du temps. Ainsi, l’expression symptomatique est constamment prise dans l’évolution des valeurs sociales.
Dans cet article la confrontation épistémique entre la psychanalyse et les sciences sociales est reproblématisée à partir du propos d’A. Ehrenberg (et d’autres chercheurs en sociologie) et d’hypothèses sur la spécificité de l’actuel malaise dans la culture. Les idées freudiennes sont menées jusqu’au point où leur subjectivisme introduit paradoxalement à une perspective de renouveau de l’historicité. Les formes actuelles du malaise dans la culture (contradiction entre moralité et cynisme, complémentarité entre individualisme et grégarité, libération sexuelle cachant une insatisfaction, suspension du jugement, prévalence des fonctionnements en processus primaires, agirs violents, troubles de la subjectivation) sont dépeintes et commentées.
Le « malaise dans la société » est moins un point de départ de l’analyse sociologique qu’un problème à élaborer et à clarifier. L’auteur propose de remplacer l’idée individualiste que la société cause des souffrances psychiques par l’idée sociologique que la souffrance psychique est aujourd’hui une forme d’expression obligatoire, c’est-à-dire attendue, du mal social. Cela le conduit à l’hypothèse qu’avec la santé mentale, on assiste à une généralisation de l’usage d’idiomes personnels pour donner forme et résoudre des conflits de relations sociales. Ces jeux de langage consistent à mettre en relation malheur personnel et relations sociales perturbées à l’aune de la souffrance psychique, unissant ainsi le mal individuel et le mal commun. À partir de là, il développe l’hypothèse que, brouillée dans le malaise, se joue une crise de l’égalité à la française, c’est-à-dire d’une égalité conçue essentiellement dans les termes de la protection, et une protection en termes de statut, sur le modèle de la fonction publique, alors que l’égalité d’aujourd’hui, et donc la lutte contre les inégalités sociales, se joue dans les termes de la capacité.
Reprendre les thèses de La Société du malaise (2010) dans le champ de l’adolescence et de la jeunesse est l’objectif de cette journée de travail avec A. Ehrenberg. L’individu doit non seulement s’appuyer sur ses capacités personnelles, compétence en particulier, mais sur « sa subjectivité, son intériorité ». « La subjectivité individuelle (“ libérée ”) est sur le devant de la scène. »
Nous proposons à la méthodologie de l’auteur de faire appel non pas exclusivement aux pathologies de caractère comme cela lui est habituel mais à l’adolescence en tant qu’ensemble processuel de création et, haut lieu bien connu d’individuation narcissique. Comment le double mouvement solidaire de désinstitutionnalisation des rapports sociaux et de psychologisation fait-il souffrir, peut-être de façon exemplaire, les adolescents en leurs normalités supposées et en leurs pathologies contemporaines ? Comment cette évolution change-t-elle la jeunesse en retour ?
Les approches croisées entre neurosciences et psychanalyse sont de plus en plus défendues sur le plan méthodologique. À l’occasion de ce numéro de la revue Adolescence, Rémy Potier interview Roland Gori à propos de l’heuristique de ces nouvelles recherches. La rigueur conceptuelle semble souvent faire défaut à ces approches qui ne se soucient pas suffisamment de la polysémie des concepts comme des enjeux sociaux-historiques.
L’auteur insiste sur quatre points évoqués par J. Dayan, B. Guillery-Girard. Le premier concerne le renversement des conceptions de l’adolescence vers un modèle téléologique. Le second propose une nouvelle lecture des signes cliniques : une conception de l’agir non comme un symptôme, mais comme un processus structurant. Le troisième concerne la manière dont on peut penser l’articulation entre neurosciences et psychanalyse. Le dernier aborde l’édification d’un nouveau cadre pour la psychopathologie. D’une place du « tout neuroscientifique » dans la psychologie du sens commun à l’ouverture théorique féconde, ces interactions ne laissent pas de nous questionner.
Adolescence, 2011, T. 29 n° 3, pp. 517-526.
Revue semestrielle de psychanalyse, psychopathologie et sciences humaines, indexée AERES au listing PsycINFO publiée avec le concours du Centre National du Livre et de l’Université de Paris Diderot Paris 7